Dans mes interventions sur la #diversité, je parle beaucoup de la sécurité psychologique comme de la concrétisation de ce qu’est l’#inclusion. Les études mettent aussi en évidence que c’est le premier facteur explicatif de la performance opérationnelle d’une équipe[1]. Tout simplement parce que ses membres s’y sentent en confiance et qu’ils ont le sentiment de « pouvoir y être eux-mêmes, respectés, dans leur personne et dans leurs convictions ».
Je me suis rendu compte qu’il existait une incompréhension sur ce puissant concept de #sécuritépsychologique dont je fais la promotion avec enthousiasme : pour certains, elle signifierait l’absence de contrainte, la capacité à « être soi » sans filtre, elle exigerait un management qui accorde tous les accommodements, même déraisonnables, au motif de respecter la singularité de chacun. L’équipe deviendrait une sorte « d’auberge espagnole » où chacun viendrait avec ses particularités et les exprimerait à sa guise.
Je vous propose d'analyser pourquoi cette pseudo "bienveillance" se révèle totalement contre-productive pour la D&I !
[1] Selon de nombreuses études comme la méta-étude Aristote, réalisée par Google, ou les travaux d’A C Edmonson (Harvard) et H. Bresnan sur la créativité.
Être soi au travail : ne pas dissimuler l'essentiel et tenir compte de la diversité convictionnelle
👉Si « pouvoir être soi » c’est exprimer quelque chose qui relève de son identité (ex : « moi, homosexuel, je veux pouvoir parler de mon week-end avec mon conjoint lors des échanges à la machine à café ») ou de ses contraintes (ex : « moi, jeune parent, j’ai besoin de flexibilité »), c’est effectivement un progrès notable qui va dans le sens de la création de sécurité psychologique pour tous, en supprimant une charge mentale liée à la dissimulation.
👉En revanche, si être « totalement soi » sur son lieu de travail signifie s’affranchir de toute contrainte dans ses propos, ses attitudes ou son style vestimentaire. Il faut être clair : ce serait a priori agréable… Mais c’est incompatible avec les principes de fonctionnement d’un groupe humain : la force du groupe repose d’abord sur sa cohésion ! Faire état de ses « convictions » sur des sujets parfois viscéraux, comme la religion, des choix politiques « extrêmes », le véganisme ou le conflit au Proche-Orient, peut gravement compromettre le « travailler ensemble ».
👉Il est des sujets pour lesquels on en arrive parfois même à un paradoxe : tolérer l’expression de certains points de vue, au motif du respect de la diversité des convictions, conduit à ne plus respecter les individus porteurs de certaines caractéristiques de diversité. Le sujet est particulièrement sensible lorsque les membres d’une équipe « diverse » ne partagent pas les mêmes référentiels culturels. La croyance en l’universalisme, très présente en France pour ce qui relève des Droits Humains ou de la Liberté d’Expression, est clairement battue en brèche par l’actualité géopolitique récente mais aussi par fractures durables liées à des visions très différentes, voire antagonistes, de la place de la religion dans la société, de l’égalité femmes-hommes ou des droits des personnes LGBT+.
😒Croire qu’il y a unanimité autour de certains sujets pour lesquels les organisations s’engagent « au nom de la diversité », se heurte à une dure réalité. Pour préserver notre équilibre émotionnel, notre cerveau 🧠 relègue dans ses "oubliettes", l'idée dérangeante que ces basiques de la culture française ne sont plus partagés... et nous continuons à parler "diversité" comme si de rien n'était. D'ailleurs, cette situation est mondiale. Sans même parler des pays "de la tradition" où la diversité n'a pas droit de cité, soyons conscients des crispations dans les pays dits "progressistes", comme les Etats-Unis, autour du wokisme et des mouvements mondialisés comme #MeToo et #BlackLivesMatter qui divisent également l'opinion française et européenne.
👉Les situations de tension au travail qui résultent de divergences fondamentales sur des sujets sensibles ne sont pas anecdotiques car près de 4 salariés français sur 10 y sont confrontés[1]. La conséquence en est que 44% des salariés déclarent éviter certains collègues à cause de leurs convictions[2]. Il est aisé d’imaginer l’impact sur les capacités collaboratives.
[1] 38 % des salariés ont déjà été confrontés à des comportements jugés extrêmes, selon le Baromètre 2023 de l’Egalité des chances du MEDEF (attitude d’une intransigeance absolue, aux exigences disproportionnées pour la sérénité du climat de travail)
[2] Etude Gartner (2022)
L'inclusion émerge dans un cadre qui permet le maintien de la sécurité psychologique de TOUS les coéquipiers
👉 Eviter les conflits impose tout d’abord que chacun accepte de « lisser » ses propos au sein du groupe, lorsqu’il exprime des convictions sur des sujets de potentielle tension. Il s’agit de ne pas rompre le lien afin que divergence d'opinion ne soit pas synonyme de blocage : « Je ne suis pas d’accord avec ce que tu dis, je ne partage pas ton analyse, mais cela ne m’empêche pas de continuer à apprécier de travailler avec toi ».
👉Cela suppose ensuite que le manager ait la capacité de réguler les tensions. Ce n’est pas si simple : où mettre le curseur, en tant que manager, quand certains de ses coéquipiers risquent de s’écharper et adoptent des modes de communication catégoriques et brutaux ?
😒Il est effectivement rare que l’ensemble de l’équipe ait développé la #softskill, particulièrement utile, qu’est le sens de la nuance. Des travaux scientifiques[1] ont montré que l’extrémisme et le dogmatisme sont liés à un manque de flexibilité cognitive. Flexibilité qui facilite la capacité à nuancer et à pratiquer une pensée analytique, plus que viscérale.
🤔Sans régulation, l’accommodement raisonnable peut devenir déraisonnable. On parle de plus en plus de la « dictature des minorités » ou de personnes très militantes qui parlent fort et ne tolèrent pas de contradiction ni d'avis divergents. Face à ce type d'expression, notre propension à vouloir maintenir l’harmonie du groupe, une autre programmation humaine, incite beaucoup d’entre nous à se taire et à se mettre en retrait… Au détriment de leur sécurité psychologique à eux !
👉Comment réguler ? Au-delà des propos, il existe aussi la possibilité de partager un message de neutralisation de l'expression des opinions, à l'initiative de l’entreprise, en utilisant la latitude de la Loi El Khomri de 2015, qui permet, via le règlement intérieur, d’éviter le port de signes convictionnels, quels qu’ils soient. C’est un premier message symbolique que toutes les entreprises ne choisissent pas de transmettre, de peur d’être considérées comme peu « inclusives ».
Que cette approche soit ou non utilisée, le plus important relève de la qualité managériale. Chacun doit accepter l’idée que son opinion, peut, si elle est exprimée, créer des tensions qui n’ont pas lieu d’être sur le lieu de travail. C’est naturellement en dehors du champ, bien codifié, du dialogue social, qui permet d’exprimer des divergences, tout en continuant à dialoguer et à négocier.
👉Lorsque cela n’est pas spontanément compris par ses coéquipiers, le manager inclusif ne doit surtout pas laisser dire mais agir. Le message à passer doit être clair et ferme : « Pour maintenir la cohésion d’équipe, je vous demande de ne pas exprimer votre opinion sur des sujets conflictuels lorsque vous êtes au travail ».
Il doit aussi, en parallèle, être exemplaire et s’assurer que ses propres convictions n’interfèrent pas dans l’objectivation de la relation de travail. Un exemple récent, publié sur X, faisait état d’un cadre d’une grande entreprise qui aurait été « outé[2]» pour ses opinions politiques, jugées extrêmes, auprès de son manager et de ses collègues, et qui en pâtissait professionnellement.
👉Rappelons à cet égard, que l’opinion relève du champ de la discrimination et que, quelle qu’elle soit, elle ne doit pas conduire à un traitement défavorable, tant que son expression reste dans le cadre de la Loi.
👉Bien sûr, pour faire passer les messages efficacement et sanctionner les écarts, le manager doit être en mesure de dialoguer. Il est utile pour ce faire, d’avoir été formé à des techniques de communication positive ou de médiation, ce qui est rarement le cas. Près de 6 managers sur 10 se déclarent en effet inaptes à la gestion des conflits[3]. Rappelons aussi que le climat de confiance existant au sein de l'équipe aide à gérer la diversité des opinions, puisque, comme le mettent en évidence des travaux de recherche en management[4], "dans un climat de sécurité psychologique, l’expression d’un désaccord, d’une opinion divergente ou d’un refus est sans conséquence sur la relation".
[1] Léor Zmigrod, Université de Cambridge, “The Political Brain: Neurocognitive and Computational Mechanisms Underlying Ideological Behaviour”
[2] NDLR : terme habituellement utilisé pour qualifier le dévoilement par des tiers de l’homosexualité d’une personne
[3] Leadership Doubt Index, compilé par R Pou
[4] Voir notamment ceux d’Hemant Kakkar et Subra Tangirala
Pour être inclusifs, développons nos softskills
👉L'art du débat non conflictuel, la "joute oratoire", qui repose sur une argumentation et le respectant du point de vue d'autrui était autrefois considéré comme une marque ultime de civilisation. C'est, de fait, l'expression d'une grande agilité mentale. Elle mobilise les soft skills de la nuance, de la relativité, de la réflexion personnelle, de la curiosité, … des dimensions du Mode Mental Adaptatif, comme le dénomme Jacques Fradin[1], et elle nécessite de s'extraire de ses biais de toutes natures. Pourquoi ne pas en faire une discipline centrale à l'école pour apprendre à nos enfants à argumenter, sur la base de faits avérés, et à accepter la contradiction et la diversité des opinions ? Les adultes qu’ils deviendront seront ainsi plus aptes à vivre ensemble et à pratiquer la collaboration.
😉Pour ceux qui n'ont pas eu cet entrainement à la flexibilité mentale, nous pouvons tout de même rêver de transposer cette pratique vertueuse du débat non conflictuel dans le monde professionnel, lors de séances d’intelligence collective, autour de projets d’entreprise. Nul doute que cela participerait à la création d’un climat de sécurité psychologique.
💡Plus immédiatement, rappelons que l’inclusion pour toutes et tous n’existe qu’avec un cadre, de la régulation et de la retenue. Comme nous l'avons vu, la diversité convictionnelle doit absolument être régulée. C’est à cette condition que se maintient un climat de sécurité psychologique, essentiel pour que la diversité des profils devienne un facteur de performance et que la Qualité de Vie et des Conditions de Travail soit maintenue !
[1] Dans l’Approche Neurocognitive et Comportementale. Le Mode Mental Adaptatif est piloté par le néocortex, la zone la plus récente du cerveau. Il s’active lorsque notre cerveau détecte une situation inconnue ou complexe. C’est aussi le mode des apprentissages comme le met en évidence Olivier Houdé dans ses recherches (CNRS).
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